Toulouse, le 1° juillet 2002
EAU-SECOURS 31
Association d’usagers des services
de l’eau et de l’assainissement
de Toulouse et de la CAGT
10 bis rue du colonel Driant
31 400 - Toulouse
à monsieur le président de la Chambre Régionale des Comptes
Monsieur le président,
Nous avons appris par voie de presse que la Chambre Régionale des Comptes allait effectuer en 2002 un contrôle sur les services de l’eau et de l’assainissement de la ville de Toulouse. Nous souhaitons donc attirer votre attention sur un certain nombre de questions concernant les rapports entre la ville de Toulouse et le concessionnaire.
1/ Concernant le droit d’utilisation: la CGE a versé à la ville de Toulouse 437,5 millions de francs au titre du droit d’utilisation. Quelle est la nature exacte de ce versement ? Don, prêt, avance amortissable ? Officiellement, pour la mairie, ce versement a toujours été présenté comme un don. L’article 10 du traité de concession ne donne aucune indication sur ce point. Par contre apparaît dans l’article 14 l’expression “ amortissement du droit d’utilisation ” . Cet amortissement est réaffirmé dans l’article 5 de l’avenant de transfert de concession de l’assainissement adopté par le Conseil municipal du 20 avril 2001: “ le concessionnaire est autorisé à amortir les charges financières correspondant au droit d’utilisation contractuel ” .
Par ailleurs, le traité de concession ne donne aucune indication sur le mode d’amortissement ni sur son taux. De fait, cet amortissement se fait sur la facture de l’usager sans que cela apparaisse sur celle-ci, comme le confirme la lettre adressée par le préfet à un usager, le 8 août 2001: “ je relève toutefois que l’amortissement de ce droit d’utilisation des équipements concédés constitue pour le concessionnaire une charge prise en compte sur la détermination du coût de l’assainissement, donc récupérée sur les usagers domiciliés dans le domaine concédé et non sur l’ensemble des habitants de la CAGT ”. ( Notons au passage que la délibération du CM du 20/04/2001 précitée, prévoit de faire rembourser par l’ensemble des habitants de la CAGT la moitié du droit d’entrée versé à la ville de Toulouse.
A ce titre, vous trouverez ci-joint (annexe 1), la réponse adressée par le Chef des Services Administratifs, Financiers et Clients de la CGE à monsieur Berquiez, Directeur du Contrôle des Gestions Déléguées de Toulouse. Cette réponse nous semble relever des explications relatives aux remboursements des annuités d’amortissement. Nous n’avons pas les compétences pour traduire ces documents en termes compréhensibles pour les usagers. Nous vous demandons donc de nous fournir les explications nécessaires à cette fin.
En réalité, selon le cabinet d’expertise SOGEX CUB qui a analysé pour le compte des salariés de Vivendi la comptabilité du groupe, le taux annuel serait de 10% de la somme versée, soit 47 millions de francs récupérés chaque année sur la facture des consommateurs.
2/ Versement du droit d’utilisation au budget général : comme le dit Dominique Baudis, alors maire de Toulouse, dans son interview de la Tribune Desfossés du mercredi 16 novembre 1994: “ Cette somme a été affectée au désendettement. Ce qui a provoqué une diminution de 70 millions de francs de notre annuité de la dette (...) C’est une bonne opération pour le contribuable ”.
Pour le contribuable peut-être, mais pas pour l’usager. Les deux ne se recoupent pas. Il y a là tranfert d’impôt et l’usager rembourse ce qui relève du contribuable. En 1990, aucune loi n’interdisait qu’un délégataire paye un droit d’entrée. Mais basculer cette somme du budget annexe de l’eau-assanissement au budget général, bien que de pratique courante, était entaché d’erreur de droit, selon l’article L 322 du Code des communes, qui stipule: “ Les budgets des services publics à caractère industriel ou commercial exploités en régie, affermés ou concédés, doivent être en équilibre en recettes et en dépenses ”.
Le Conseil d’Etat a d’ailleurs rappelé le 30 septembre 1996, que “l’institution de redevances à la charge des usagers sans que celles-ci trouvent leur contrepartie directe dans les prestations fournies par le service, est entachée d’une erreur de droit” (Société Stéphanoise de l’Eau / Paul Chaumat et autres ). D’un point de vue politique, cette somme qui a servi à éponger une partie de la dette de Toulouse, a permis au maire de Toulouse de présenter un bilan flatteur où apparaissait la fameuse dette zéro. Ne s’agit-il pas là d’une manipulation d’opinion à partir d’une pratique illégale ?
Nous pensons que ce problème se pose aussi dans les mêmes termes, pour la redevance annuelle que touche la ville de Toulouse de la part de Vivendi.
Par ailleurs, nous avons de bonnes raisons de penser que le rachat du matériel a été remboursé par les usagers, même si cela n’apparaît pas dans la facture. Ce matériel aurait donc été payé deux fois par les usagers.
Nous estimons en conséquence que le concessionnaire fait reporter sur l’usager des charges indues qui alourdissent la facture.
3/ Prise en charge de la dette: dans l’article 2 du traité de concession, la CGE s’engage à prendre à sa charge les annuités restant à régler des emprunts contractés par la Ville au titre de l’Eau et de l’Assainissement. De nombreuses dettes sont arrivées à échéance, certaines ayant été renégociées. Cependant la facture ne prend jamais en compte cette diminution de charges. Cela est-il normal ?
4/ Prix de l’eau: le traité de concession donne une formule pour l’évolution du prix de l’eau et de l’assainissement. Par contre, il ne donne pas les éléments initiaux de fixation de ces prix. Or l’augmentation du prix de l’eau et de l’assainissement a été de 10,54% de décembre 1989 à juin 1990, passant respectivement de 4,6033 F et 3,6550 F à 4,9337 F et 4,1948 (prix HT). Cette augmentation brutale au moment de la mise en oeuvre du traité de concession n’a pas eu d’équivalent ni avant 1989, ni après 1990. Nous sommes donc fondés à demander des explications sur une si forte augmentation, et il nous semble que le traité de concession aurait dû comporter un article donnant les éléments de fixation du prix initial de l’eau et de l’assainissement.
5/ Concernant des subventions de l’Agence de l’Eau : dans son numéro de mai 2001, le journal SATIRICON a révélé un document interne de l’Agence de l’eau Adour-Garonne qui constate qu’entre 1992 et 1998, “le flux journalier des déchets entrant à la station de Ginestous diminue de 27%. Et les matières en suspension de 32 %”. La CGE-Vivendi ne donnant aucune explication crédible, l’Agence de l’Eau écrit à la mairie de Toulouse: “ sans doute embarrassée la CGE ne nous transmet plus depuis mars 98 un diagnostic satisfaisant et les résultats de son autosurveillance ” (Annexe 2). A cela s’ajoute le document du Secrétariat Permanent pour la Prévention Industrielle (SPPI) indiquant qu’en 1999, il n’y aurait eu que 7 700 tonnes de matières sèches produites à Ginestous, alors que la même source fait état de 14 000 tonnes pour 1998. Passons sur d’autres observations du SATIRICON. Une question importante demeure: Vivendi a bénéficié de subventions versées par l’Agence de l’eau au titre d’une dépollution fictive. Ainsi, selon le SATIRICON, “ pendant six ans - de 1992 à 1998 - Vivendi aurait donc été rémunérée sur la base d’une prestation-dépollution surévaluée. On sait que, sur les trois dernières années, la surfacturation est évaluée à 7 MF l’an. Si l’on ajoute les super-primes indûment perçues pendant six ans, le total de la chicane pourrait dépasser les 50 MF”. Il nous semble nécessaire de faire toute la clarté sur cette question, et de rendre aux usagers les sommes qui éventuellement leur ont été volées.
Ajoutons que cette question est intimement liée à celle de l’extension de la station de Ginestous puisque, comme l’indique la même note, “ On peut imaginer la difficulté dans laquelle se trouverait la Ville, l’exploitant, ... et l’Agence elle-même s’ils devaient argumenter le projet d’extension projetée en admettant leur incapacité à expliquer la perte en réseau de 27% de la charge initiale, perte susceptible de remettre en question les bases de dimensionnement de la station de Ginestous 2000 ou du moins l’économie générale de l’opération ”. On ne saurait mieux dire.
6/ Questions diverses:
a/ Sur nos factures n’apparaissent ni les dates de relevés des compteurs, ni celles des estimations intermédiaires, ce qui ne nous permet pas de vérifier qu’il n’y a jamais eu de rétroactivité de la facture. Nous observons aussi l’absence de délibération du Conseil municipal de Toulouse fixant le prix de l’eau, remplacée par une simple approbation à posteriori du compte de gestion du concessionnaire.
b/ Alors qu’en régie directe le réseau était entretenu chaque année, il est maintenant entretenu à minima. Dans certaines villes, cela permet au délégataire de renouveler le contrat de manière quasi automatique, le montant des travaux à effectuer étant trop onéreux pour la municipalité.
c/ 80 à 90% des travaux effectués le sont par des filiales de Vivendi à partir d’appels d’offres qui ne semblent pas garantir la transparence nécessaire ni une réelle mise en concurrence.
7/ Une question de droit: en droit public, l’argent du service eau-assainissement doit aller exclusivement à ce service puisqu’on ne peut basculer le surplus d’un budget annexe sur le budget général. En droit privé, les avoirs d’une filiale peuvent passer à la holding, si l’objet de cette dernière le permet, même si ces avoirs sont issus de la gestion d’un service public, la seule obligation du délégataire étant d’honorer son contrat. Pour ce faire, les provisions pour travaux qu’il facture à l’usager sont là pour garantir l’entretien et le renouvellement du réseau.
Dans le cas de Vivendi, J.M. Messier a basculé sur VU les réserves accumulées par la CGE, privant cette dernière de capital, et la lestant du même coup d’une dette de 14 milliards d’euros (selon COGEX CUB). Rappelons par ailleurs que 70% des activités de VE se font sur des contrats publics. Or dans Le Monde du 9 juin 2002, on peut lire que “ VU a récupéré l’ensemble des provisions pour le renouvellement des réseaux d’eau (3,66 milliards d’euros) et en échange s’est porté garant en dernier ressort des obligations de renouvellement dans l’eau ”.
En cas de faillite (l’action Vivendi a perdu 70% depuis janvier 2002) ou de rachat, que deviennent toutes ces obligations ? Les consommateurs captifs que nous sommes ne risquent-ils pas de supporter non seulement le financement de la modernisation des réseaux (dans la perspective d’une rupture de contrat par exemple), mais aussi le poids d’une partie des pertes de la gestion hasardeuse d’un groupe qui n’a strictement rien à voir avec l’eau et l’assainissement ?
On atteint là les limites de la gestion “ à la française ” des services publics. N’y a-t-il pas incompatibilité de fait entre les missions d’un service public qui doit garantir l’égalité et la solidarité dans l’accès à un service, et la rentabilité et la recherche du profit maximum qui préside à la marche des entreprises privées ? C’est ce que reconnaît explicitement monsieur Philippe Limouzin-Lamothe, ancien président de la Chambre Régionale des Comptes, dans sa déclaration à La Croix du Midi du 31 janvier 1997 : “ Certains montages juridiques complexes ont pour effet d’organiser une véritable dépossession de la collectivité, en même temps qu’une rente quasi perpétuelle à l’exploitant ”.
Devant le vide juridique de tels montages, ne doit-on pas revenir à la Constitution, qui stipule dans son préambule que “ toute entreprise qui a, ou acquiert le caractère d’un service public ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ” ?
8/ Commission consultative des services publics locaux de la ville de Toulouse : dans la conclusion (page 130 - Annexe 3) du rapport de la Cour des Comptes de janvier 1997, il est fait mention, à propos des services de l’eau et de l’assainissement, du rôle de cette commission qui doit permettre “ d’exiger des services, qu’ils soient ou non délégués, une information suffisante et claire. Celle-ci, en développant la transparence de la gestion des services, en facilitera le contrôle ”. C’est avec cet état d’esprit que notre association a demandé à faire partie de cette commission. Vous trouverez ci-joint la réponse de la mairie (annexe 4). Nous estimons que l’importance des services de l’eau et de l’assainissement dans l’ensemble des services publics locaux, et la composition actuelle de la commission justifient pleinement que notre association puisse siéger au sein de cette commission.
Nous espérons, Monsieur le président, que vous voudrez bien répondre à nos remarques et interrogations, et que vous voudrez bien intégrer ces préoccupations dans le cadre du contrôle que la Chambre Régionale doit effectuer sur les services de l’eau et de l’assainissement de la ville de Toulouse. Elles correspondent aux mêmes préoccupations de nombreux citoyennes et citoyens que nous rencontrons dans l’activité de notre association.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le président, l’expression de nos salutations distinguées.
Myriam Guillou
présidente de l’association Eau-Secours 31